Couverture du livre "La tentation du bitume"

Après un chapitre introductif essayant d’imager ce que pourrait être les lotissements dans le futur - vision assez cauchemardesque - les auteurs décrivent non sans humour la réalité de l’étalement urbain en France : des zones commerciales interminables, des lotissements avec leurs rues aux noms à consonance champêtre, animalière et toujours consensuels, des voies rapides, échangeurs et ronds-points pour relier le tout. L’ensemble est décoré à grand renfort de panneaux publicitaires aux couleurs vives et aux slogans chocs. Des paysages que tout le monde reconnaîtra…

Comment en est-on arrivé là, sachant que le phénomène continue de s’accélérer ? Les auteurs listent un certain nombre de causes :

  • L’économie repose sur l’abondance et l’immédiateté, le consommateur veut être livré le plus rapidement possible. Ce fonctionnement en flux tendu nécessite de nombreux hangars en périphérie de ville, des plate-formes d’échanges et des axes de communication routier. Autant d’infrastructures qui se construisent aux dépends des terres agricoles.
  • La civilisation de l’automobile : les gains de vitesse ont été réinvestis dans les transports, ce qui signifie que nous passons le même temps dans les transports, mais nous allons plus loin. Il est possible grâce à l’automobile et à l’énergie bon marché de “vivre à la campagne” et de travailler à la ville.
  • Les lotissements et zones commerciale qui justifient mutuellement leur existence. Un chiffre: entre 1992 et 2004, les surfaces commerciales ont augmentés de 44%, la consommation de 14%.
  • La pression immobilière : une terre agricole a un prix très bas par rapport à un terrain urbanisable. Un agriculteur aura tout intérêt à vendre son terrain si il est urbanisable. Les propriétaires fonciers tranchent lorsqu’ils le peuvent en faveur de l’urbanisation.
  • Causes démographiques : familles recomposées (4 mariages sur 10 se terminent par un divorce, les enfants ont une chambre chez chacun des parents ), on reste célibataire plus longtemps (besoin de plus de logements pour personne vivant seule), les couples restent sans enfant plus longtemps (besoin de plus de logements pour couple sans enfant) : entre 1968 et 2008, on est passé de 3,1 à 2,3 occupants par logement. Le nombre de ménages a augmenté de 22% alors que la population n’a augmenté que de 9%
  • La construction des grands ensembles dans les années 60-70 a provoqué un rejet d’une certaine forme de ville et un rejet de l’habitat collectif. Cela a contribué à un exil de la population vers les zones pavillonnaires.
  • Le poids des lobbies (transporteurs routiers, distributeurs, logisticiens, industrie du bâtiment, notaires) qui ont tous des intérêts dans la perpétuation du modèle actuel
  • L’idée que posséder une maison est le terme d’un parcours résidentiel réussi, et que le retour à un appartement ou a un logement avec une surface moindre est un échec
  • L’empilement des responsabilités administrative (commune, EPCI, département, région, état, Europe) qui complique la prise de décisions pertinentes

Des solutions sont cependant possibles :

  • Superposer les usages : par exemple, pourquoi ne pas construire des bureaux par dessus les supermarchés ?
  • Recycler le territoire, de nombreuses friches sont à reconquérir.
  • Gérer intelligemment la densité pour que l’intensité des échanges ne soit plus réservé aux centres-villes (commerces, circulations piétonnes)
  • Faire évoluer le modèle d’urbanisation : jardins plus petits pour des logements plus compacts mais avec des parcs urbains
  • Mutualisation d’une partie de l’habitat (chambre d’amis, buanderie,…)
  • La mise en place d’une agriculture urbaine
  • Limiter la vitesse, limiter le tout parking, favoriser les piétons et l’usage du vélo dans la ville
  • Changer d’échelle administrative pour que les décisions soient prises au niveau du bassin de vie.

Ces solutions sont moins évidentes, moins faciles que la continuation du système actuel, mais avons-nous vraiment le choix ? A défaut, ce sont les crises financières, politiques ou énergétiques qui vont se charger de stopper cet étalement, mais avec une grande brutalité pour la population.

La tentation du bitume - Où s’arrêtera l’étalement urbain ?
de Eric Hamelin et Olivier Razemon
Préface de Roland Castro
Éditeur : Rue de l’échiquier, juillet 2012